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Le Chant du possible
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28 mai 2006

Je t'aime mon enfant

Sais-tu ma belle et ma douce, tu es mon enfant, ma sentinelle aussi, les envies de nous et la passion d'un jour, sais-tu ma belle, ma petite, ma saignante et mourante, tu es mon enfant, hein dis, maman... Je suis là maman, et même si tu n'entends ou ne sauras pas, les clâmeurs de tout cela, il faut que je te les chante, que je te les fredonne au souvenir de nous et de ce que nous finirons bien par devenir, et accomplir. Alors, maman, des larmes, ce ne seront que des cris à toi, des cris de toi, des cris en toi. Je parcours de ta fossette à ton sein, et de ta frimousse à tes mains, tout le long de mon parcours, tout le temps de mes espérances adultes, je parcours ton ennui, tes joies aussi, et l'évidence que tu n'es pas là.

J'avais dix et quelques ans, nous allions au fossé, et la couverture qui nous réchauffe déjà, ton visage barbouillé de mon sang, tes paumes égratignées de tout cela, de la vieille simca pliée sur un pilône de campagne, de la vieille Mado qui hurle à qui l'entendra, "le p'tit va mal, le p'tit va mal". Et tu cries, maman, tambourinant sur mon dos frêle, hurlant comme une chienne que la nuit ne se fasse pas matriarche éternelle, et je sens ton souffle haletant, ta peine rugissante, mon petit crâne gisant déjà, sur tes seins, sur ta peau, sur nos discordances. Maman, je mourrai en ce temps là, et tu te défendais de cela, je n'avais que dix et quelques ans, un geste de gosse, une voiture qui déraille, ta façon de mourir avec moi...

Maman, pour toutes les lacrymales de toi, les poésies inventées, les ravages occultés et le sens opéré, Maman pour qu'un jour on ne dise plus, pour qu'une fois, on sache, je voulais garder le manque de toi. S'entourer de nous ne fera pas de mal qui ne soit déjà là, qui ne soit ma douleur déjà, mon fardeau aussi et tout ce que l'on ne dira pas, Maman pour toi, cela ne fera pas la résurrection et le pardon, des trucs, tu sais, auxquels l'on ne croit pas, desquels l'on n'a jamais trop puisé nos croyances. Le temps ne se refera pas, mais il suffira du temps pour se le dire, que l'amour sans toi, ce ne sera qu'un échantillon de rien, et du change à se faire, Maman, je suis un homme, et toi tu ne sais pas, que je suis là à ton lait, à ta sève, et tes reins qui souffrent et perdurent de ta douleur à m'enfanter.

Ils se moquent et se targuent de ce que je n'ai pas commis pour nous, les passagers de chaque emmerdements, les naufragés de tous propos et viles ambitions. Ils diront bien, ils diront tant, les maux de trop et la passion manquée, que tu fus mauvaise matriarche et piètre amoureuse, maîtresse de tant d'autres qui ne furent pas lui, salope à se donner, putain de déshnonneur, et les frères qui te font souffrir l'enfer, et ses soeurs aux sang d'égale maternité, qui te jaugent souvent, te pénetrent de leurs haines farouches, tu es au pilori, Maman, tu es la traînée et l'empêcheuse, à Diable épousé, tu as commis pêché de gloire, pêché d'orgueil et lente agonie pour nous.

A grandir, grandir et demi, et pas tout à fait, juste un peu comme tu le voudras, je manque encore de toi, et ce nous que tu n'as dit ou inspiré. Là, devant tout cela, des hommes à me faire une copie de ta vie, des hommes pour m'entrelacer, me lasser à l'issue, il n'est que des fins communes, des trucs qui pourissent sur le ciment de la princesse en espérance, des ardeurs à se supposer l'élue d'un idéal qui ne vient décidément jamais. Je suis ton autre à me tromper au lit des mécréants, et ton autre à pâlir de jalousie devant ces princesses de mélancolie, et ton autre à crever sous ma chemise trompée par le désir de lui, de ce lui sans royaume... Un prince comme au temps des histoires colportées sur la rêverie de nos citoyenneté gamouches. Oh, je ne t'en veux point de ces illusoires parcimonies, le temps faisant et la justesse se décrivant sur mes âges de mieux en mieux appropriés, j'accomplis mon chemin, je croise un cheval, et le cavalier est aussi seul que moi, que nous...

Tiens, c'est drôle, tu souris maintenant, au fil du vent, la bise qui sème le tempo maudit dans chacun de tes cheveux, tu es la tressée des sourires qui ne disent plus que le mal. Je t'envie soudain, d'avoir le bonheur apparent, et les sens à faire semblant de tout, pour que je ne doute de rien. Tu es ma mère, mon infâmie et ma victoire aussi. Tu es ma mère, mon esprit de sentence et ma mie de douceurs. Tu es ma mère, au printemps encore, et l'automne, tu meurs.

Ils nous le feront tous leur petit article à sa gloire qui ne sera jamais la tienne ! Je les hais de les avoir, je les hais pour ce qu'ils ne profitent plus ou oublient de chanter aux autres louanges que ce jour là. Je les hais ces enfants qui n'en sont plus, et ces mioches qui ne rêvent plus. Ils en finiront par te trahir, par te maudire de m'avoir fait homme et putain aussi. Ils m'en voudront quand il sauront tout le mal que j'ai de toi et la ferveur à t'adorer pour cela.

Je me lève à ces heures où tu te couches au minuit de l'ailleurs, je me lève dans la fièvre de ce que claironnent toute la journée les chalands contents, les marchands avides et la passion contrainte. Un jour de fête, un jour sans nous, un jour comme ça, où il faudra passer sa hurlante, sa gueulante et beuglante. Il suffira d'un jour comme celui-là, et chaque année durant pour que nous ne nous lèvions pas au même registre de la communauté des saints voués à leurs pauvres mères abandonnées. Je t'ai laissée Maman, comme à ces dix ans, dans l'absolu de mon corps cèdant, dans la vindicte de mes veines rugissantes. Je t'ai laissée Maman, comme on tire une rectiligne sur sa cadence amoindrie, je t'ai abandonnée et tu m'auras fait la mort dans un regard qui s'acharne, sur les lèvres qui se strient de douleur.

Tu es morte Maman, et c'est pour cela que je claironne à sans fin, à sans but, à sans finalité, que tu ne seras pas là, malgré leur promotion de nous. Tu es morte, et je t'en envie presque la grâce et l'éternité de cela. Tu es morte comme l'on perd l'envie, comme l'on perd la foi et le désir. Un jour dans tes bras, à la morgue, tu seras jaune, de tes pupilles à tes angles, on dit que tu cancèrises, on dit que tu cirhoses, et moi je sais à cet instant là que viendra le temps et la minute, les secondes ou l'immédiateté, d'un banc de givre pour maintenir mon corps inerte, ma fatigue récompensée et ma lassitude glorifiée. Un jour, Maman, tout comme toi, et d'autres avant nous, un homme, une femme, contemplera ma maigreur avâchie, mes paupières closes après l'agonie, et un jour, Maman, celui-là dira de moi que j'étais beau endormi.

Dire qu'il faut se faire honneur et s'enorgueillir du jour sacré ! Dire qu'il faut parler de nous comme des amants sacrifiés, et dire qu'il faut conserver haute tête et pieds debouts. ILs me navrent et me désolent, à panser dans l'union maquillée, leurs peines à ne plus t'enlacer, tout comme moi, leurs joies à ne plus profiter de toi quand même pourtant. Ce n'est qu'un jour de fête, et l'on ne mettra pas les lampions, on ne jouera pas l'air javanaise. Et j'écouterai, pour toi, une chansonnette de la sucette, ou du voleur de Mamans. Tu les aimais tes poètes ringards, eux aussi tu sais, ils ont tous leur air dans tête, et l'air de ne pas y penser ! En musique, je te consacre encore, dans l'année des méduses et la Betty sans oeil, dans une Girardot d'avant toi, la Simone et son piètre amant, tu les aimais les cancans, tu les aimais les célèbres et vaniteux, les éclaboussés de la télé ou des toiles blanches. Tu avais l'instinct des stars, pour te figurer être d'aucune d'elles, tu avais le printemps des mélodies, et tu ne savais foutrement pas chanter, ce que la vinasse et la lie te rendait mauvaise. Sur un air d'Eicher, tu entonnas la bringue allemande, tu dansas d'un pied muscadet toute la honte de mon adolescence à présent souillée.

J'ai rencontré un homme Maman, il a la mâchoire d'un crocodile à me dévorer tout ce que tu m'as colporté de mal, il a l'oeil qui frise lorsqu'il dit je t'aime, il a le corps qui gémit pour s'assouvir à mes envies de lui, il a aussi des instants à s'évaporer pour des ailleurs que je ne comprends pas, il a ce que tu disais du prince. Et même s'il n'en est pas, qu'il ne leur arrive pas aux chevilles, moi j'y crois, oui, tu ne m'en voudras pas, je ne suis qu'un homme après tout. Tu savais tout cela, hein, n'est-ce pas, que le temps faisant, je n'étais plus à trop aduler ce que tu martellais en moi. Tu ne m'en voudras pas, je ne suis qu'une empreinte à présent, et je pense aussi à n'en plus finir, que l'amour aura le droit, l'illégalité respectueuse, de m'engager, de me transporter, de me délibérer. Les hommes ont vaincu, Maman, les hommes m'ont couché puis salit, ils ont usé de moi, un coup par là, et les autres ici, une brindille dans leurs bourrasques, un radeau dans leurs déchainés océans. Je les aime, tout comme toi, ces hommes qui ne feront de rien de moi, qu'un morceau de chair, une fesse à croquer, le sexe à bleuir de foutues jouissances. Je les aime, tout comme toi, des matelots aux crocos, des charognes aux clowns de bals musettes. Mais je ne danse pas, je ne joue pas, je ne ris pas, sauf peut-être là, il suffira qu'il se confirme comme tel.

Réalité. Retour. Franchise.

Ma mère, par une soirée d'automne, aura décidé de se faire mère. Un Docteur, un sous je ne sais quoi m'appela. Il dit au téléphone qu'elle se mourrait, qu'elle s'engouffrait vers des ailleurs où je ne serai pas. Je n'étais déjà plus là. Un jour ainsi, elle revint, pour dire la fin, le temps passant, et les besoins de moi. A son chevet, ma mère ne me reconnut pas. Trois jours restants, à carreser ses joues fânées, sa peau comme une photocopie délavée et ses larmes aux reflets du mal. J'ai posé mes lèvres sur les siennes, j'embrassais ma mère pour l'unique fois. Je séchais des gouttes de sa douleur à mes joues vaillantes et courageuses, d'un gosse de dix ans encore qui savaient que ce fut là, le dernier jour. Elle dit n'importe quoi, elle dit des choses ignobles, à son habitude, la mort ne guérit pas ! Et je restais à ses côtés, respirant les effluves de son ventre tuyauté, de toute cette lie s'écoulant en bassine, des années d'ivrognerie et d'amour manqué. Ma mère eut fêté là, ses cinquante deux ans. Ma mère mourrait là, après que j'eus été son père, son roi, son enfant. Ma mère, Maman, est ma dingue infâmie, mon poison saloperie. Perpignan, octobre 2002, j'étais son unique en ces échéances là, elle ne le savait pas, que son ennemi, moi, serait le seul, le roi.

Je voudrais me consoler enfin, Maman, tu es à bouffer mes tripes, à te repaître de mes entrailles, tu parcours le chemin d'un pas moins alerte au pensées amoindries. Maman, t'aimer, ça ne se dit pas, te haïr est aisé, t'ignorer, cela, je ne le saurai pas. Maman, pour te dire que tu es, que tu fus, que tu perdures et inspires, alors, il me faudra plus que cela. J'en ai rencontré des mieux que toi, oh oui, ça c'est évident, de moins aussi, et ce ne fut pas charmant, mais je ne sais toujours pas, pourquoi il ne serait que toi finalement. Maman, Que je te baise ou te glorifie, que je ne sois qu'enfant maudit ou adulte roi, tu vois Maman, je ne suis qu'un rien sans le tout de toi. A pleurer je sais que tu n'es plus là, à rire, je sais que tu n'es plus là, à danser, chanter, m'effondrer ou me salir, je sais que tu n'es plus là. Eux ne liront pas tout cela, eux, s'arrêteront au passage ennuyeux, à la première syllabe, au premier mal de toi. Alors, je continue et je poursuis, je te parle de nous comme une course ultime, je te fais notre tableau pas joli, oui, mais il est pour nous, hein Maman... Et elles se sont libérées, presque imposées, toutes mes saignantes, toutes mes solitudes, toutes mes averses oeillades. Je pleure, non pas tant que ce fut nous encore une fois, mais d'avantage à souffir trop ce combat. Je ne suis qu'un homme et là, je ne sais pas, laisse moi, je t'en prie, laisse moi, être un demi, être un petit, être un enfant. Requête à toi Maman, elles ne sont pas permises ces choses là, pleurer sans dégâts, sans outrages et dérapages, pleurer comme on pleure chaque fois que sa Maman n'est plus là.

Je m'en fous de ta fête, je m'en fous de ces cons, je m'en fous du principe et de la loi, de ce qu'il faut ou ne faut pas, je m'en fous bon Dieu, Maman, je t'aime. Et le mot lâché, presque l'ultime poignard, cela ne modifiera pas le chemin et la barrière au bout, hein ? Non, cela ne changera rien. Ils me diront que tu es toujours là, qu'à t'écrire ce qu'ils ne lisent pas jusqu'au bout, alors, tu es toujours là. Mais moi, moi je sais qu'ils ont tort, mais moi je sais que c'est tout vide là, que c'est tout froid, que ça mérite pas souvent, que ça vaut quoi de l'écrire, que ça vaut rien, juste moi sans envergure, juste moi qui se déchire, juste moi, et toi qui n'est plus là. Maman, de t'aimer, ça ne changera rien, de t'aimer enfin et surtout, ou mieux, ou mal, je ne sais pas, Maman, ça ne changera rien. L'ogre reste ton bourreau, les salauds tes empires, la vie ta démesure et mon corps à dix ans qui te crie "ne me laisse pas" un futur.

Permets moi encore, enfin, soudain, de vivre Maman, juste vivre, dire que je vaincrais les déjà trop toi, mais les demains plus moi. Permets moi, Maman, de te dire que je t'aime, de gueuler que je t'aime, permets-moi Maman, de croire enfin que toi aussi, de là, de nulle part, parce qu'il ne reste rien que tout ces mots, permets-moi de m'aimer enfin.

Je t'aime mon enfant, et le cercle prit fin, je t'aime mon enfant, et tu redevins moi, je t'aime mon enfant, pour que jamais l'on ne sache que nous fûmes si loin. Voilà, Maman, je ne te l'ai pas dit avant, je n'avais pas le temps, ou les idées pour ce faire, il est toujours trop tard, oui mais il n'est toujours aucun temps, aucune suspension pour le délivrer enfin...

Je t'aime mon enfant...

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